
Pour l’étranger qui arrive à l’aéroport international de Douala, sa sobriété et son âge indiquent en apparence que ses beaux jours sont derrière lui. Une image qui caractérise l’ensemble des bâtisses qui se dressent à travers la capitale économique du Cameroun. Laquelle n’en finit pas d’étendre ses tentacules sur les bords du fleuve Wouri.
Aéroport international de Douala. Les formalités me prennent beaucoup de temps, puisque c’est à l’aéroport que je prends mon visa d’entrée. L’Afrique n’a pas encore fini avec ses problèmes de circulation des personnes et des biens entre l’Ouest et le Centre. Il s’agit là d’un défi à relever pour les nouvelles générations. Avec mon ami et confrère Honoré Moundou, nous quittons l’aéroport ensemble pour rouler à travers les rues de Douala que je découvre pour la première fois.
Pour un premier contact avec Douala, j’ai rendez-vous dans un restaurant, Le White House, pour déjeuner. Le buffet est pour moi une découverte gastronomique avec notamment la sauce Ndolè, la viande de porc- épic et j’en passe. Une fois régalés, nous décidons de rendre visite à Albert K. Doo- Collins. La rencontre nous permet de faire la connaissance de Valère Epee, professeur, linguiste, écrivain et grand initié. Sa connaissance des traditions du pays et sa grande culture fait que nous entrons tout de suite dans le vif du reportage alors que nous sommes invités à déjeuner au Cabanon. Comme on peut s’en douter, le déjeuner prend plus de temps qu’il n’en faut et nous ne nous séparons qu’en début d’après-midi. Entre deux rendez-vous, nous avons juste le temps de souffler un peu. Au lendemain de mon arrivée à Douala, je retrouve de nouveau Valère Epee dans l’après-midi. Nous visitons le palais Dicka Akwa, l’ancien palais royal de Bonanjo, le lieu où Rudolf Duala Manga Bell fut pendu. Des lieux chargés de mémoire et qui méritent d’être réhabilités pour les générations futures.
Un peu d’histoire…
L’histoire de Rudolf Duala Manga Bell mérite d’être revisitée par les générations actuelles et futures, tant elle est riche en enseignement. Rudolf Duala Manga Bell n’est pas un prince comme les autres. Quand il rentre d’Allemagne dans les années 1896, il est déjà juriste. Pour y avoir été envoyé par son père Auguste Manga Bell, le jeune Rudolf Duala a eu le temps d’apprendre beaucoup de son école primaire à Aalen à son école secondaire et supérieure à Bonn, et de se faire des convictions au contact de ses camarades européens. Comme pour se mettre à la hauteur de la mission pour laquelle on le préparait.
A la mort du père en 1909 Rudolf lui succède et devient roi des Bell. Seulement voilà : dès 1910 son règne connaît des turbulences avec l’administration coloniale allemande. L’histoire commence quand naît dans les esprits des colons allemands un plan d’urbanisation comportant deux volets. Primo : l’expropriation des Duala de leur terre de résidence en bordure du fleuve. Secundo : l’instauration d’une sorte d’apartheid en divisant la ville en deux (la ville blanche occupant le bord du fleuve et les enfants de pêcheurs repoussés vers l’intérieur). Cette perspective inadmissible aux yeux de Rudolf Duala Manga Bell est le début de la révolte.
Dès 1912, le Ngondo (Assemblée traditionnelle du peuple Duala), après avoir fait de ce dernier le chef suprême des Duala, le charge de mener ce combat contre les Allemands, avec à ses côtés Adolf Ngosso Din, son cousin,
Secrétaire et compagnon de lutte. A partir de ce moment, les deux figures organisent la rébellion.
Adolf Ngosso Din, se déguise et se rend clandestinement en Allemagne. Sa mission est de rechercher des avocats pour défendre leur cause. Sur place, Rudolf Duala Manga Bell rédige une série de correspondances à l’attention des chefs traditionnels, autorités militaires et autres personnalités indigènes aux quatre coins du Cameroun. Dans ces correspondances, le roi leur explique le drame de Douala appelé à devenir avant longtemps le drame camerounais. Toutes les personnes contactées adhèrent spontanément à la cause des Duala. Sauf le sultan Njoya des Bamoum qui remet sa lettre à un missionnaire allemand. Lequel missionnaire contacte l’administration coloniale et Rudolf Duala Manga Bell est arrêté à Douala et Adolf Ngosso Din en Allemagne.
Nous sommes en 1914, la première guerre mondiale vient juste d’éclater et l’Allemagne est sur les dents. Aussitôt les grands mots fusent et l’accusation est celle de haute trahison. Le 7 août 1914, un procès sommaire a lieu et les condamne à la peine de mort par pendaison. La sentence est exécutée dès le lendemain. Les principales têtes de file dans les régions contactées ne sont pas tout à fait épargnées. C’est ainsi que nous avons la déportation de King AKwa (Ludwig Mpondo Avua), Henry Matola de Kribi, Martin Samba d’Ebolawa etc. Ce don de soi jusqu’au sacrifice suprême dont ont fait preuve Rudolf Manga Bell et Adolf Ngosso Din est un acte à la fois de patriotisme et de bravoure qui mérite un devoir de mémoire de la part des générations actuelles et futures.
Au cœur de Douala, la grouillante capitale économique
En dépit de la présence remarquable des fameux « bensikines » (taxis- moto), du nom d’une danse traditionnelle par laquelle on se trémousse vigoureusement, les taxis interurbains ne se font pas encore rares ici comme dans bien de grandes villes africaines où le phénomène a pris de l’ampleur. Cela saute à l’œil dès qu’on quitte l’aéroport pour s’évanouir dans les dédales de la capitale économique du Cameroun. Avec 2.500 FCFA pour une course en auto et 100 FCFA, voire plus et à débattre, selon la distance et le temps à moto, se déplacer n’est pas un problème. Loin s’en faut.
Même si de nombreux chantiers ne manquent pas çà et là, Douala n’est pas une nouvelle ville. Elle a sans doute perdu de sa superbe et de son lustre d’antan comme en témoigne le nombre considérable d’anciens bâtiments à un ou plusieurs niveaux, l’état de certaines artères secondaires. Et c’est, peut-être, en cela que réside son charme discret. A cela, il faut ajouter son allure un peu british qui évoque une cité anglophone bien que l’on soit dans le Cameroun francophone.
A Douala, le décalage du relief est inattendu. Il est loisible de passer d’une route plane à une montée suivie d’une descente selon votre itinéraire et ainsi de suite. Tant et si bien qu’on a l’impression qu’il se décline en tranches successives sous forme de pyramide. On monte, on descend pour reprendre le célèbre humoriste camerounais, Jean Miché Kankan. Sauf qu’ici un cadavre ne doit pas mourir. Il y a plusieurs siècles, depuis ce qui constitua l’embryon du Douala d’aujourd’hui, que la ville se construit selon la mythologie des trois piliers du divin foyer.
Selon le professeur Valère Epee, linguiste et écrivain de son état, grand initié de surcroît, Douala tient son nom de son ancêtre fondateur Ewalè. A l’origine, elle s’appellerait Doul’ewalè, c’est-à-dire l’embouchure du fleuve d’Ewalè. La langue Duala procédant par amputation Doul’ewalè est devenu Douèlè avant de connaître une évolution qui est celle de l’appellation actuelle de la ville : Douala. Vers le 15e siècle, quand le peuple Duala quitta le Congo au moment des grands mouvements migratoires pour arriver à Douala, les Bassa et les Bakoko étaient déjà installés sur les lieux. Les traditions ancestrales étant basées sur l’accueil et l’hospitalité, il s’était agi de créer un nouveau Douala et par voie de conséquence de fonder une nouvelle communauté entre Ewalè et ses frères qui venaient de débarquer en masse et les anciens occupants. Et pour violer les barrières de sang, il fallait un rite qui nécessitait un sacrifice humain. La question se posa alors de savoir laquelle des communautés devait payer ce lourd tribut quand sept jeunes filles vierges se déclarèrent volontaires des rangs des nouveaux arrivants. Ainsi, furent-elles emmenées et sacrifiées au large du fleuve, donnant ipso facto naissance à la légende des sept vierges de Bonadouma. A en croire Valère Epee, des phénomènes extrasensoriels se produisent encore de temps en temps à cet endroit précis. La nouvelle communauté ayant été formée, on commença à parler de Bassa de Douala et de Bakoko de Douala pour les différencier des autres Bassa et Bakoko.
Au départ, chaque communauté avait sa chefferie. Ce n’est qu’à partir de 1792 que Douala a connu une chefferie unique. Mais à la mort du roi d’Olamacongo la sécession de son neveu, Akwa, marqua ainsi le schisme entre Akwa et Bell.
Malgré les années de colonisation et ses avatars, sur les bords du Wouri qui traverse Douala, l’on a su garder certaines valeurs traditionnelles, notamment le Ngondo.
Jadis le Ngondo était l’Assemblée traditionnelle, la chambre de commerce, la haute cour de justice et l’organe suprême d’exécution du peuple Sawa. Ses assises étaient souveraines et avaient lieu chaque année sur un banc de sable qui émerge au milieu de la rivière Ngondo, un affluent du fleuve Wouri maintenant disparu. Pour les chefs traditionnels du Ngondo, « en mettant l’action au centre et même au cœur des préoccupations de la communauté Sawa, le Ngondo entend jouer un rôle précurseur, de pionnier et de catalyseur pour l’éveil et la prise de conscience collective qui mènent au développement et au progrès de la société tout entière ». Fermée donc la parenthèse profane caractérisée par son immixtion politique, économique et culturelle dans la vie des Camerounais qui lui valut d’être interdit en 1977 avant d’être réhabilité en 1991.
Que ce soit au palais Dicka Ackwa ou à l’ancien palais de Bonanjo, le visiteur a de quoi nourrir sa curiosité en dehors mêmes vestiges de la colonisation sous les Allemands et les Français. Le symbole vivant de cette colonisation à plusieurs visages reste la vieille cathédrale de la ville. Construite à l’origine par les Frères Pallotins issus du catholicisme allemand dans les années 1890, cette église a finalement été détruite sous la colonisation française dans les années 1930 et placée sous la congrégation des Pères du Saint Esprit. Et c’est cette église qui est là jusqu’à nos jours. A sa suite, l’Ecole des garçons Saint Jean Bosco a vu le jour en 1951 avant que le très célèbre Collège jésuite Libermann ne vienne s’y ajouter pour devenir le symbole de l’éducation réussie. Non pas en étant seulement le meilleur collège de Douala, mais aussi celui de tout le Cameroun.
Quand le jour se lève sur Douala, les taxis jaunes et les « bensikines » qui quadrillent la ville de part en part en quête de clients débouchent de partout comme des trous à rats, créant de facto aux heures de pointe des embouteillages par endroits. Cette mégalopole connaît une démographie galopante à l’image des grandes villes d’Afrique. Avec ses grands panneaux publicitaires le long des artères principales, son centre administratif et commercial, sa rue de la joie, sa marée humaine qui monte et qui descend, ses rues commerçantes etc.
Bonanjo a l’avantage de rassembler à quelques encablures près, contrairement aux autres quartiers de la ville, un nombre considérable de bâtiments administratifs et commerciaux ainsi que des résidences et des hôtels. Quand on veut parler affaires, c’est un endroit idéal. Il n’y a qu’à arpenter les rues dans tous les sens pour s’en convaincre : banques, compagnies aériennes, hôtels, bars restaurants, boutiques s’alignent et montrent que la ville a connu des heures de grande prospérité à une certaine époque. Cela va sans dire quand on sait que Douala dispose d’une façade maritime et que son port fait partie des plus grands et modernes de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Rien d’étonnant aussi si elle a le statut de capitale économique du pays.
Dans les quartiers de Bali, de New Bell, de Bonapriso, de Bonaberi pour ne citer que ceux-là, l’intensité avec laquelle les gens s’adonnent au commerce le long des rues indique, si besoin en était encore, combien les « Doualais » pour ainsi appeler les habitants de Douala ont en grande partie une propension pour cela. Une activité dans laquelle l’on retrouve en bonne place la gent féminine à en juger par le nombre de celles qui commercent entre Douala et certaines capitales ouest africaines comme Cotonou au Bénin, Lomé au Togo, Lagos au Nigeria, voire Abidjan en Côte d’Ivoire.
La grande ouverture des « Doualais » à l’égard de l’étranger procède en partie sinon du fait de leur culture de l’échange et du voyage, du moins de cette tendance à savoir prendre la vie du bon côté. L’humour, la détente, le chant et la danse sont autant de choses qu’on sait mettre en valeur à chaque occasion. Pour passer un agréable séjour à Douala, il faut avoir les bonnes adresses. Il n’est guère difficile de trouver un hôtel, quel que soit le standing recherché. Le premier conducteur de taxi interurbain ou de taxi-moto peut vous y conduire. Au nombre des hôtels, on peut citer Sawa, Ibis, Le Méridien, Akwa Palace, Parfait Garden, Serena Palace, Beau rivage. Il en est de même des restaurants : Le Cabanon, Oriental Garden Bonapriso, Aladin Bonapriso sont quelques endroits au choix, selon votre goût.
Ici, au pays de Manu Dibango, Petit Pays, Dina Bell, Ekambi Brillant, Grace Deca, Chantal Ayissi et autres, la musique et la danse sont ancrées dans les traditions. A telle enseigne que même les nouveaux courants musicaux qui balaient le continent n’ont pas encore réussi à entamer ou ébranler le traditionnel « Makossa » qui continue de tenir le haut du pavé sur les bonds du fleuve Wouri. Dans les boîtes de nuit, l’on peut parfois attendre après plus d’une heure pour avoir droit à un rythme autre que camerounais. Normal, il n’y a rien à gagner à promouvoir ou privilégier une culture autre que la sienne. Et ça, les Camerounais au moins, l’ont bien compris. Malgré sa parure de grand-mère, la ville vibre au rythme du cœur d’une jeune fille.
Si vous allez à Douala, pour quelque raison que ce soit, il est recommandable de ne pas en repartir sans avoir effectué un crochet à au pied du Mont Cameroun à Buea ou du Mont Etinde à Limbe. C’est à une soixantaine de kilomètres. Et ce que vous y découvrirai vaudra le déplacement.
Par Marcus Boni Teiga, envoyé spécial